Mr Roland DAMS
SOUVENIRS DU DOCTEUR ROLAND DAMS.
« Un enfant passe… d’autres suivront !»
Saint Vincent d’Agny, le 13 Août 2012.
Des tenailles arrachent les clous qui suspendent les nombreuses plaques
commémoratives des résultats d’exposition du Docteur Roland Dams, décédé le 5
mars 2012. Elles sont rassemblées dans une cagette et Monsieur le Comte
Arnaud d’Aubarède me les donne.
Rentré chez moi, je m’assois, ma cagette sur les genoux, dans mon poulailler, au
milieu de mes volailles.
Je regarde mes bêtes.
Je regarde les plaques, petit résumé d’une longue vie d’élevage.
Je pleure mon Maître. Je pleure le Docteur Roland Dams. Je pleure celui que je
n’ai jamais appelé autrement que Monsieur Dams…
Je suis pris d’un vertige face à cette chaine d’éleveurs venant de la nuit des
temps. Monsieur Raymond Popelin qui lui transmit ses Dindons Rouges des
Ardennes en 1960 ; de qui les tenait-il depuis plus de 40 ans ?
Et Monsieur Cyrille Poncet, le « Pape de la Volaille de Bresse », qui lui donna ses
Crêtes Pâles quelques années après ; depuis quand les élevait-il ?
Et bien d’autres ? Anonymes éleveurs…
Saint Vincent d’Agny, Printemps 1973.
J’ai 9 ans et je rencontre le Docteur Dams pour la première fois. Il me vend un
coq et deux poules. Ce sont les seules volailles qu’il me vendra ; toutes les autres
me seront données !
Depuis 1973, les visites à Saint Vincent sont très fréquentes et régulières.
Lorsque mes études me retiennent, l’échange se fait par téléphone.
Le Docteur Dams me laisse élever tout ce que je désire ; me donnant toujours ses
plus belles bêtes afin que je me face la main et surtout l’oeil. J’élève, il instruit, me
laissant grandir et devenir un éleveur. Il explique inlassablement jusqu’à la
parfaite compréhension de la leçon. Je fais alors mes armes sur toutes les races
que je souhaite.
Puis vient la réussite au concours d’entrée aux Écoles Nationales Vétérinaires
clôturant le temps de l’apprentissage. Désormais, il veut faire de moi un
sélectionneur à l’oeil avisé agissant pour les races françaises, affranchi de la
course aux expositions. Mon poulailler doit rester un havre où la variété
génétique s’épanouit… et non un lieu où se pavane la dernière race à la mode.
Montrevel-en-Bresse, printemps 1989.
Je suis en stage pour l’École Vétérinaire de Lyon. En trois semaines, je parcours
plus de 3000 kilomètres à la recherche de Dindes et d’Oies de Bresse.
Les Dindes rencontrées ne sont que des croisements industriels !
La race n’est plus, la modernité l’a tuée…
Néanmoins, après un hasard rocambolesque, je trouve des Oies de Bresse chez
Monsieur Petitjean. Elles sont de la souche de Madame Maria Favier qui
remportait auparavant les concours de volailles de Montrevel, avant de les
remplacer par de simples oies blanches industrielles. Après le siège de Monsieur
Petitjean, j’obtiens enfin des oeufs. Des oisons naissent mais le Docteur Dams ne
croit pas à l’authenticité de cette souche.
Quelques années passent et c’est chez Monsieur Petitjean, alors malade, qu’en
recherche d’Oies de Bresse, le Docteur Dams trouvera l’essentiel de sa souche.
Monsieur Petitjean était le valet de Madame Maria Favier et il était chargé de
l’élevage des oies. Il avait pris des oeufs mais n’osait pas concourir avec…
Saint Vincent d’Agny, Hiver 1991-1992.
Je prépare ma soutenance de thèse. Je suis plusieurs fois par semaine chez le
Docteur Dams. Pour la recherche bibliographique, de nombreux livres sont
achetés, mais deux manquent. Un jour, sur la nappe de la table, est posé un livre
longtemps cherché : « Le Poulailler » de Jacque, 1858. Nous buvons du thé dans
les tasses du service aux coqs, une fine porcelaine de Chine. Il en sera de même
pour « Le guide illustré de l’éleveur » de La Perre de Roo, 1885. Que d‘émotions,
lorsque des années après, ces livres, spécialement achetés par lui pour ma thèse,
seront dans ma bibliothèque.
Faculté de Médecine et de Pharmacie de Lyon, 5 mai 1993.
Je soutiens ma thèse pour l’obtention du grade de Docteur Vétérinaire. Le
Docteur Dams est membre invité du jury, une rare exception. Il écrase
littéralement les autres membres du jury par sa précision. Après lui, ils ne
peuvent que répéter. La thèse porte sur la génétique des races de poules
françaises. Mes parents sont heureux. Le Docteur Dams m’embrasse. Il est ému.
Saint Vincent d’Agny, lors d’une panne électrique.
C’est l’hiver. Une poularde Bresse Blanche à crête pâle est à l’épinette. Elle est
grasse et prête à être mangée. Très particulière, elle présente une phalange
blanche et une plume de la queue légèrement grisée. Selon Monsieur Cyrille
Poncet, elle doit être mangée seul, religieusement, pieusement, loin de l’agitation
et du tumulte.
Nous la mangerons ce soir.
Une grosse panne électrique survient alors que l’électricien est à l’oeuvre pour
des réparations. Les couveuses tournent à plein…
Le repas est fait à la lumière d’un bougeoir. La vaisselle, les couverts en argent et
les verres sont tous du XVIIIème. L’électricien et les agents d’EDF nous regardent
comme dans un rêve. Cette volaille reste mon plus grand souvenir
gastronomique. La Crête Pâle sera ma race de prédilection. La flamme de la
bougie brille dans les yeux du Docteur Dams et dans les bulles de champagne.
L’électricité est pour les couveuses, nous finissons le repas dans une ambiance
d’un autre siècle.
Cimetière de Saint Laurent d’Agny, le 10 Mars 2012.
Le Docteur Dams rend son corps à la terre. Il repose avec ses parents. Un pot de
l’amitié est partagé après l’enterrement ; quel étrange sentiment que boire un
verre devant un portrait de celui que l’on aime comme un père…
Nous nous retrouvons avec quelques proches chez lui. Je m’assois sur la marche
de pierre comme je l’ai si souvent fait. Il reste des volailles que nous partageons.
Quelques Crêtes Pâles, un Le Mans, deux ou trois Barbezieux sont dans la cour.
Les Queues de Paon ne sont plus. Les Rouges des Ardennes sont d’une autre
souche. Les Oies de Bresse sont comme au premier jour… Maigres restes d’une
longue et patiente sélection.
La glycine cultivée d’une graine venant de l’ancienne École Vétérinaire du quai
Chauveau a été coupée – saccagée – pour faciliter, en vain, la capture de quelques
pigeons de ville. La maison est en partie vidée ; l’esprit du Docteur Dams n’anime
plus les lieux.
On me propose de créer une association à la mémoire du Docteur Dams.
L’enseignement donné sur près de 40 ans porte ses fruits, l’élevage doit
continuer.
Les souches – que le Docteur Dams avait héritées d’autres éleveurs ou recréées –
doivent vivre alors qu’elles sont si fragiles. Elles sont à la merci d’un renard,
d’une maladie, d’un voisin grincheux, d’un entrepreneur affairiste, d’une loi
scélérate obligeant à enfermer les volailles (H1N1)… Un jour, je serai vieux et je
serai comptable des souches qui m’auront été transmises. Qu’en aurai-je fait ?
C’est tourné vers l’avenir que doit s’assumer l’héritage des souches et de
l’enseignement du Docteur Dams ; non dans la douleur de l’absence.
A nous d’oeuvrer, d’agir, de lutter, de conserver et surtout de transmettre.
Soyons attentifs aux enfants qui visitent nos poulaillers…
Frédéric Ab-der-Halden.
Bron, 2012.